1993 : CONTRIBUTION D’ANDRÉ TOSEL POUR AdN

Andre Tosel – crédit : Les Amis de la Liberté

Lorsque l’AdN a été créée en novembre 1991, de nombreuses personnalités nous ont soutenus, à travers divers textes ou oeuvres. Nous reproduisons ci-dessous une contribution d’André Tosel, datée du 30/12/1993.

  • On ne peut que saluer l’opportunité des initiatives prises par l’A.D.N. La défense de la démocratie passe bien par la lutte contre les idées et la stratégie de passage pacifique à un néo-fascisme  développées par le Front National. Il importe que Nice et les Alpes Maritimes ne deviennent pas le banc d’essai grandeur nature d’une politique nationaliste et raciste, et que l’héritage vénéneux de décennies de médecinisme ne trouve dans le F.N. la suite logique de son incivisme radical.
  • Mais alors se pose la question des objectifs et des conditions de réussite de cette lutte. La gravité de la crise traversée par la société française et les formes particulières qu’elle prend à Nice et dans notre région exigent que le consensus minimal anti Front National soit le plus riche possible. Si l’on veut que les politiques d’exclusion ou autre purification ethnique soient rendues impossibles, il faut frapper les causes qui les engendrent et non se borner à combattre leurs effets. Un rassemblement préélectoral n’est pas nécessairement une mauvaise chose, mais il épuise vite ses vertus et il risque aussi d’accréditer bien des équivoques.
  • Pourquoi le Front National a pu se développer au-delà des
    Contribution d’Arman pour notre exposition « Ces étrangers qui ont fait la gloire de Nice » en 1993.

    nostalgiques du vichysme ou des déçus de la décolonisation ? Pourquoi un courant composite et ultra-minoritaire est-il devenu une force nationale et a-t-il pu abuser de simples gens qu’il serait erroné et dangereux de criminaliser à priori pour s’être laissés séduire par la démagogie lepéniste ? Sans rentrer dans les analyses trop complexes, il faut ici rappeler quelques traits de notre conjoncture pour comprendre et pour mieux lutter. – La guerre économique qui ravage le monde et qui se mène sous le nom édulcoré de modernisation économique, avec sa recherche nihiliste du profit pour le profit, demeure la cause lointaine réelle de la crise qui conduit dans le centre riche et civilisé de l’économie-monde capitaliste à détruire plus d’emplois qu’à en créer, à jeter dans le désarroi des quantités croissantes d’hommes et de femmes. La même guerre produit les mécanismes qui contraignent à déstabiliser les cadres de l’État-nation, à faire circuler avec les capitaux les travailleurs étrangers des pays de la périphérie, après avoir rendu la vie et le travail impossibles à ces mêmes travailleurs. Du même coup elle modifie la composition de la population laborieuse et met objectivement en concurrence ces immigrés que la misère transforme en importés volontaires avec les travailleurs nationaux. Loin de d’unir contre les mécanismes économiques qui les exploitent en les dressant les uns contre les autres et contre les étrangers, les travailleurs nationaux sont portés spontanément par cette logique perverse à utiliser la citoyenneté française pour ce qu’elle devient objectivement et contradictoirement et monstrueusement : un nouveau privilège. L’ethnicisation des différences culturelles existantes s’inscrit comme un moyen de soumission des travailleurs. La lutte contre le F.N. passe par des pratiques solidaires pour une modification des mécanismes économiques et sociaux et pour une citoyenneté multiculturelle déconnectée de la seule nationalité.

  • Contribution de Ben pour notre exposition « Sommes-nous des barbares » en 2001.

    C’est là le terreau que le F.N. exploite en s’appuyant sur les ressorts des identifications imaginaires et en tendant le miroir d’une ethnicité fictive comme source de sécurité pour les identités sociales en péril. Mais il faut aller un peu plus loin. Le F.N. espère dévoyer le malaise des chômeurs ou des exclus ou des vaincus “nationaux” de la modernisation dans un mouvement fondé sur un nationalisme raciste ou sur un racisme national. Mais il entraine une partie (à analyser) des couches dominantes, du monde de l’entreprise ou de certains appareils d’État. Il tente de souder dans le même “front” des éléments hétérogènes. C’est ici que la partie qui se joue à Nice peut être instructive. Le médecinisme en effet a en quelque sorte constitué une répétition générale, localement circonscrite, de cette alliance entre populisme identitaire (même si l’ethnicité niçoise relève heureusement plus du gadget que la purification ethnique) et affairisme mêlant capital local et capital transnational. Médecin s’est souvent vanté d’avoir devancé Le Pen, et ce dernier trouve à Nice un terrain bien préparé où néolibéralisme économique, racisme, populisme scellent leur union sacrée. Les dégâts causés par ce vrai système de domination économico-politique qu’à été le médecinisme sont incommensurables. L’état de déliquescence des partis traditionnels de la gauche, les ambigüités de la droite locale tentée de faire du médecinisme sans Médecin, de soutenir en fait les idées de Le Pen en évitant de se compromettre avec le personnage, constituent une conjoncture dangereuse. Il est préoccupant de constater que la fin honteuse du médecinisme officiel n’ait été accompagnée ni suivie d’un mouvement civique d’envergure et qu’une équipe corrompue et moralement finie ait pu se survivre dans l’indifférence. La lutte contre Le Pen coïncide à Nice avec la lutte contre les restes du système Médecin. Elle exclut les alliances équivoques avec les transfuges qui cherchent à faire oublier leurs idées ou leurs pratiques. Positivement, elle passe par un mouvement civique au sens le plus élémentaire du terme, par l’affirmation du bien public, par la constitution de réseaux de solidarité avec les exclus, par le combat contre le clientélisme et l’affairisme, par un rassemblement de ce qui reste de forces civiles dans une ville qui plus que bien d’autres risque de devenir la ville sans citoyens.

Bref, le temps n’est plus pour l’énoncé généreux des droits de l’homme, ni pour les fausses évidences de l’engagement humanitaire. Il est celui de la production des conditions effectives de ces droits. Il est celui de la politique au sens fort. Aujourd’hui la démocratie ne pourra pas être simplement défendue contre le F.N. ou le médecinisme ou ses restes. Elle ne vivra qu’élargie aux non nationaux vivant sur le même sol et dans le combat pour l’inclusion du plus grand nombre, dans des conditions de vie digne, dans le partage des singularités. Si elle ne même pas ce combat pour sa transformation, elle périra. Qui n’avance pas recule. À Nice comme ailleurs. À Nice plus qu’ailleurs.

André Tosel